Le rhum a du punch !

Les rhums agricoles sont un pilier du patrimoine martiniquais. Ces produits souvent d'excellence offrent l'occasion de parcourir autrement l’île antillaise, à la rencontre des meilleures distilleries. Un itinéraire à apprécier avec envie... et modération.

Sans canne à sucre, le rhum n’existerait pas ! L'immersion touristique doit donc commencer par la découverte de ce produit, introduit en Martinique au milieu du 17ème s. Aux Trois-Îlets, sur la côte sud de la baie de Fort-de-France, la Maison de la Canne est l'endroit idéal. Cette ancienne distillerie fondée en 1916, longtemps productrice d’un rhum nommé « Le Soleil » (fabrication arrêtée en 1962), retrace l'histoire de la canne depuis son arrivée sur l’île. Et met l’accent sur le système esclavagiste qui lui est lié.

Rien de tel pour comprendre l’origine de la fortune des planteurs européens, fondée sur l'absolue domination d'esclaves arrachés à leur terre d'Afrique. En moins de 100 ans, plus de 100 000 d’entre eux seront amenés de force en Martinique pour servir de main d’œuvre dans des plantations (appelées alors Habitations) exigeantes en bras.

La canne, transformée en sucre après cristallisation (l’Europe des Lumières est alors très demandeuse de ce produit) deviendra aussi rhum après distillation. Il faut rappeler ce que la filière et la boisson doit au travail contraint des Africains de l’Ouest.

Les rhums martiniquais possèdent donc une longue histoire. Mais l'obtention en 1996 d'une Appellation d'Origine Contrôlée (AOC) a boosté un secteur qui n'en demandait pas tant. 21 ans plus tard, le label garantit la provenance et le processus de fabrication, tout en confortant le positionnement haut de gamme des produits.

Un voyage valant mieux qu'un discours, il est temps de partir sur la « Route du Rhum ». Pas à la voile mais en voiture (!), à la découverte des distilleries et des Grands Rhums blancs, ambrés, vieux ou paille de Martinique. Le circuit autour d’une dizaine d’exploitations a été imaginé par le Comité Martiniquais du Tourisme, en collaboration avec le Comité Martiniquais de Défense et d'Organisation du Rhum.

Sur les flancs de la Montagne Pelée, le célèbre volcan pour l’heure en sommeil, tout au nord de l’île, l'Habitation Bellevue, à Basse-Pointe, abrite depuis 1790 la distillerie familiale J.M. Le climat tropical humide et les terres volcaniques fertiles se combinent pour produire ici une canne à sucre de qualité Prémium. Résultat : certains rhums, comme les Vieux J.M., sont recherchés par les amateurs de grands crus et considérés parmi les meilleurs de l’île. Distillés grâce à une eau de source riche en minéraux, leur saveur est telle qu'ils ont reçus en 2016 le titre de « meilleur spiritueux du monde », distinction obtenue au Concours Mondial des vins de Bruxelles. Rénové il y a quatre ans, l'outil de production de la distillerie J.M. offre une expérience inédite aux visiteurs.

Toujours au pied de la Montagne Pelée, au bord de la baie de Saint-Pierre, la Route des rhums se poursuit jusqu'à la distillerie Depaz. Ici aussi, la terre volcanique, l’eau de source et l’ensoleillement font de ce rhum un alcool aux riches saveurs. Il est issu d’une canne à sucre cultivée depuis quatre siècles sur la Plantation Montagne. La visite permet de remonter le temps et de découvrir la chaîne de production.

Cap sur Sainte-Marie et la distillerie Saint-James, à l’est de l’île. Plantées au bord de l’Atlantique, les cannes à sucre donnent au rhum Saint-James sa saveur et son authenticité. La maison coloniale du même nom accueille un musée du rhum et propose un voyage retraçant l’histoire de l’élixir. Chaque année en décembre, à l’occasion de la Fête du Rhum, Saint James organise des balades dans les plantations, un marché artisanal et des « chantés Nwel » (chants de Noël). La distillerie produit plus de 3 millions de litres par an et élabore la plus large gamme de rhums agricoles de l’île.

L'Histoire est aussi au rendez-vous au sud, à l'Habitation Saint-Etienne, au Gros-Morne. Inscrit à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, ce domaine est l’un des derniers témoins de l’architecture industrielle de la fin du 19ème s. en Martinique. La maison de maître domine la distillerie et les anciennes cases des travailleurs. La salle des foudres, chais de vieillissement situés au cœur de l’Habitation, accueillent aujourd’hui des expositions associant culture et dégustation. Quant aux jardins, riches de 180 espèces et d’arbres rares, ils bénéficient depuis 2015 du label « Jardin remarquable ».

Au François, toujours plus au sud, l’Habitation Clément ouvre les portes d’un domaine comprenant une plantation, un parc botanique et la seule habitation créole (classée monument historique) totalement ouverte au public. L'avantage concurrentiel du site, comme disent les « pros » du marketing, est la Fondation Clément. Créée pour la promotion des arts caribéens et la valorisation des artistes ayant choisi d’exercer dans la région, elle propose chaque année, d’octobre à juin, une saison d’expositions d’art contemporain.

A Sainte-Luce, à l’extrême sud de l’île, sur la mer Caraïbe, la distillerie Trois-Rivières est reconnaissable entre toutes par… son moulin à vent et son logo bleu turquoise. Le rhum de la plantation est un « traditionnel agricole », issu d’un savoir-faire de près de 250 ans. La plantation elle-même a été fondée vers 1600 par… Nicolas Fouquet, ministre de Louis XIV. C’est l’une des plus anciennes de Martinique. A la boutique du Moulin, les prestigieux millésimes côtoient les bouteilles modernes des séries spéciales : Blue Cascade, Pavé du Moulin....

En remontant vers Fort-de-France, au Lamentin, La Favorite est connue pour produire le plus doux des rhums blancs AOC de Martinique, aux saveurs sucrées et caramélisées. Dans cette distillerie familiale, où l’on élève les rhums en fûts de chêne, on peut encore voir une machine à vapeur en action.

Que l'on soit amateur ou pas, impossible de passer à côté des marques emblématiques La Mauny et Dillon. 

A Rivière Pilote, au cœur d’une vallée verdoyante entourée de champs de canne à sucre, La Mauny représente 150 ans d’histoire et de savoir-faire. Ses rhums blancs et vieux sont appréciés et reconnus dans le monde entier. La distillerie permet de découvrir en détail les étapes de leur fabrication... avant de passer à la Cabane à Rhum pour déguster ti punch et cocktails.

Située dans la capitale de l’île, à Fort-de-France, la distillerie Dillon est aussi l’une des plus connues. Même si la production a été délocalisée, la visite du domaine datant de 1690 reste accessible. Dillon propose également un espace de dégustation au cœur de Fort-de-France : le Club Dillon, permettant d’apprécier sa gamme en toute intimité.

Conscient de devoir s'adapter aux besoins des clients, le rhum martiniquais n'échappe pas à la tendance du bio. Au Carbet, au nord de Fort-de-France, sur la côte caraïbe, la distillerie Neisson, l'une des plus récentes puisque née en 1931, vient de recevoir l’agrément Ecocert. Son rhum est ainsi devenu le premier rhum bio AOC au monde, dans la suite logique de la certification « bio » reçue pour trois hectares de culture en 2015. L’aventure qualitative du rhum martiniquais continue.